Quelques «déblatéreurs» précoces, qui pullulent sur Facebook notamment, avaient déjà prédit que le camp gouvernemental allait rire de toutes les couleurs – rouge, mauve, bleu – à la lecture des conclusions de ce sondage politique. Tout compte fait, Pravind Jugnauth risque ni de perdre le sommeil, ni de renverser son bol de fruits à sa lecture. Navin Ramgoolam n’en avalera pas, non plus, son cigare !

Il n’y en avait pas eu depuis quelque temps et qui est rare a – d’habitude – de la valeur. Par conséquent, Le Mauricien et Week-End ont effectué un petit battage pour appâter le chaland sur cette étude d’opinion face to face effectuée par le cabinet Straconsult de fin février à Mars 2022 auprès de 600 Mauriciens en âge de voter. Du fait de la taille de l’échantillon, l’intervalle de confiance est de 95%.

A la lecture des conclusions, quelques commentaires s’imposent:

  1. Un traitement très pauvre du sondage par Week-End. Ce titre de presse qui nous a habitué, depuis des lustres, à des textes kilométriques mélangeant allègrement faits, commentaires et opinion consacre en tout et pour tout une petite page à l’analyse du sondage. Accompagnée d’une mise en page aussi basique que laide. C’est à se demander, pour imiter les questions rhétoriques habituelles dans cette publication, si le texte n’est pas volontairement succinct parce que les conclusions du sondage ne correspondent pas au point de vue de ceux qui l’ont commandité.

 

  1. Une porte ouverte enfoncée. Le titre consacré à ce sondage est « Les jeux sont loin d’être faits électoralement ». Selon notre Constitution, nous sommes à 2 ans et quelques mois des prochaines législatives. Aucune publication respectable n’oserait dire qu’on connait le dénouement d’un scrutin national un an, voire plus, avant que les électeurs ne soient appelés aux urnes. On a d’ailleurs des exemples récents pour illustrer à quel le fait de prédire un résultat électoral bien à l’avance est futile : L’alliance in extremis MSM/MMM de 2000… le 40%+40% manqué du tandem PTr/MSM en 2014 ont fait mentir des prévisions et prédictions. Dans le style de Week-End, le titre aurait donc pu être « Opération Defons Laport Ouver » !

 

  1. Des incongruités dans la formulation des questions/options. C’est difficile d’être à 100% objectif dans l’élaboration des questions d’un sondage et des options offertes, il est malgré tout crucial d’essayer de l’être. Ce sondage démontre toutefois quelques incongruités. Arvin Boolell est considéré comme un challenger direct de Navin Ramgoolam. Il est donc une option parmi le Premier ministre préféré. Soit. Mais qu’est-ce qui explique la présence de Joanna Bérenger (qui réussit d’ailleurs un meilleur score que son père  avec 3% de préférence contre 2%). Cette inclusion traduit-elle un désir secret mais néanmoins ostensible au sujet du leadership du MMM ? De même, on ne comprend pas pourquoi l’option MSM-PTr est agglomérée dans la catégorie «others», alors qu’elle aurait du être présentée individuellement, étant une possibilité électorale qui demeure réaliste.

 

  1. MMM mon cœur. Le penchant de Week-End pour le parti mauve est connu de tout lecteur à peu près raisonnable lisant cette publication. Toutefois, il est étonnant à quel point la contre performance du MMM dans différentes dimensions du sondage est passée sous silence dans la publication. Aussi bien au sujet du faible score de Paul Bérenger – même Roshi Bhadain le devance ! – que celui du parti ou des préférences de vote des alliances avec le MMM comme partenaire. Ces résultats se prêtent sans doute à une analyse sur le plus petit des grands partis du pays.

 

  1. Indécision : le chiffre qui ne veut rien dire. C’est le premier tableau que Week-End reproduit : Celui de la proximité avec les partis politique. Le texte s’attarde sur le chiffre de 34% correspondant au tiers des personnes interrogées disant se sentir proches d’aucun parti. A deux ans et demi des élections, les sondages démontrent la plupart du temps que 4 Mauriciens sur 10 sont indécis. L’erreur, ici a été de pas agglomérer ces 34% avec les autres 19% qui disent «ne pas savoir». Le chiffre de l’indécision est donc de 53%. Ce qui prend soudain tout son poids, car il est largement supérieur à ce que démontrent d’habitude les sondages. Il est intéressant aussi de noter que ce chiffre demeure cohérent, car dans les autres tableaux il est également proche ou supérieur à 50%.

 

  1. Pravind Jugnauth en tête, pas une surprise. C’est probablement une chose à laquelle ne s’attendaient pas les die hards des partis de l’opposition mais il n’est absolument pas surprenant de constater que le Premier ministre en exercice arrive clairement en tête du classement du chef de gouvernement préféré. Avec 21% de soutien, le leader du MSM réalise presque le double de Navin Ramgoolam (12%). Rappelons que, dans ce cas également, 47% des sondés ne se prononcent pas ! Ce n’est pas une surprise, là non plus, car n’oublions pas qu’à un an des élections de 2014, Navin Ramgoolam était toujours largement le Premier ministre le plus plébiscité dans les sondages.

 

  1. L’axe rural/sénior se confirme, celui de la population générale demeure flou. C’est une évidence qu’il convient néanmoins de souligner. Quand Jugnauth est opposé à Ramgoolam, le leader du MSM recueille un soutien largement supérieur au patron du PTr dans deux catégories sociales majeurs : La population rurale (26% contre 12%) et les séniors (30% contre 9%). L’écart est suffisamment significatif pour que Navin Ramgoolam y accorde une attention particulière. Ensuite, il y a aussi la question du vote de la population générale. Même si 52% disent ne pas savoir ou ne pas avoir de préférence, il est quand même intéressant de noter que Ramgoolam devance Jugnauth d’un seul point, (10% contre 9%). Cela, au moment où cette catégorie de la population est perçue – ou présentée – comme étant ouvertement hostile à l’actuel Premier ministre.

 

  1. Se méfier des perceptions. Ce sondage doit probablement dérouter un certain nombre de personnes persuadées que l’impopularité du gouvernement atteint des sommets dans un contexte socioéconomique tendu. Toutefois, cette cote de popularité est très souvent évaluée à l’aulne de la couverture de l’actualité par les médias et les commentaires sur les réseaux sociaux. C’est dont une nouvelle occasion de rappeler que ce qui est vu/lu/partagé sur les réseaux sociaux et dans les médias ne correspond pas nécessairement à la réalité du terrain politique.

 

  1. Les limites de l’exercice. On ne peut terminer cette analyse sans rappeler les critiques régulières qu’on adresse aux sondages – notamment politiques – à l’effet qu’ils ne sont pas fiables. C’est un procès général qu’on fait à ce type d’études d’opinion dans de nombreux pays. Dans notre contexte très local, il est aussi vrai que les Mauriciens sont des maîtres dans l’art du « ni oui ni non» et de véritables « veyer seke » surtout quand ils sont interrogés en face à face. On peut donc se demande si une large partie de ces quelques 50% d’indécis et qui ne se prononcent pas n’ont pas préféré taire leur préférence. Ni, non plus, si ceux qui ont choisi un camp, l’ont fait pour être politiquement correct plus qu’autre chose.

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