La même menace à notre démocratie est évoquée : Avec gravité et inquiétude chez les uns; avec un brin de cynisme et de provocation chez d’autres. Cette menace, c’est celle d’une répétition des évènements de février 1999, qui avaient paralysé le pays et rouvert une plaie béante dans notre tissu social.

Ici ou à l’étranger ; hier, voire des siècles de cela, les spasmes sociopolitiques violents ont presque tous eu un catalyseur en commun : Le sort des martyres. Jean-Paul Marat, Rosa Luxembourg, Mohamed Bouazizi ailleurs ; Anjalay Coopen, Kaya et Berger Agathe ici.

A Maurice et ailleurs, les martyres naissent dans un contexte social et politique particulier. A Maurice, depuis deux ans, le pays – et surtout ses couches les plus vulnérables – encaissent les contrecoups d’une crise sanitaire qui a engendré un choc économique aggravé par une situation géopolitique internationale qui produit désormais une crise profonde et durable du pouvoir d’achat. C’est cela qui pourrait causer l’embrasement que certains craignent… et d’autres semblent presque souhaiter.

Depuis plusieurs semaines déjà, on sent comme un besoin de trouver des martyres – d’innocentes victimes d’une classe dirigeante et d’institutions oppressives. Tour à tour, des conseillers de village, une journaliste/animatrice et, depuis peu, un « activiste » sont devenus des héros populaires symbolisant la lutte des opprimés face au gouvernement.

Tous responsables

Il faut bien admettre qu’on n’en est pas arrivé là par hasard. Ils sont nombreux à avoir activement contribué à l’escalade :

  • Un Premier ministre incapable de se montrer proche des préoccupations du peuple ;
  • Une communication calamiteuse et malavisée des différents membres du gouvernement, surtout autour des récentes décisions impopulaires ;
  • Un ministre des Finances arrogant et mal outillé pour diriger le Trésor Public et cordialement détesté par ses propres collègues avec qui il n’arrive pas à travailler en bonne intelligence ;
  • Des figures de l’opposition qui se complaisent dans un populisme aussi irresponsable que dangereux ;
  • Une bande d’avocats va-t-en-guerre dont on cerne quotidiennement la propension à attiser les tensions par leurs propos, non-dits et postures
  • Des médias qui privilégient la superficialité en mettant en lumière les réactions viscérales plutôt que d’appréhender les problèmes de manière plus fondamentale. Ce matin du 23 avril, une radio a, par exemple, consacré 20 minutes d’édition spéciale à « la colère saine » d’hier soir, avant de diffuser un premier appel au calme venant de l’ancien président Cassam Uteem.

Comparé au « malaise » décrit depuis le milieu des années 90 ; et qui avait ranci jusqu’à l’étincelle de la mort de Kaya en cellule policière ; la crise de 2022 est plus profonde et diffuse. Elle est « démocratisée », car elle frappe lourdement le pouvoir d’achat de tous les Mauriciens, à l’exception de la petite poignée de personnes pour lesquelles Rs 25 000 de dépenses en plus ou en moins par mois n’influe en rien le budget familial.

Dans ce contexte, le gouvernement doit pouvoir concilier l’impératif de montrer qu’il a entendu les récriminations des Mauriciens avec la gestion des finances publiques – anémiques. L’Etat peut-il continuer à engranger davantage de TVA au fur et à mesure que le prix des carburants augmente ? Ne peut-on pas concevoir une valeur plafond de cette taxe sur certains produits, créer une petroleum tax plafonnée au lieu de la TVA ad valorem? Les prélèvements liés à la Covid-19 sont-ils toujours aussi indispensables ? Ne peut-on pas imaginer une formule d’aide additionnelle et ciblée pour les familles inscrites au Social Register of Mauritius ?

Aborder l’urgence par le bon sens

Le bon sens doit d’ailleurs amener l’ensemble des acteurs de – et potentiels contributeurs à – cette crise embryonnaire à tenir compte d’un élément de contexte qui n’existait pas en 1999 et qui pourrait, en 2022, créer un effet domino qui exacerbera les tensions et violences, voire facilitera leur propagation : Les Réseaux Sociaux.

La réalité avec laquelle nous vivons depuis quelques années est celle-ci : Tout et n’importe quoi peut circuler à n’importe quel moment et à très grande échelle. Aussi bien du journalisme bona fide, des informations factuelles que des faussetés colportées dans l’intention de nuire ainsi que des opinions et prises de position incendiaires. C’était notamment le cas sur une page Facebook spécialisée dans l’injure, la calomnie et les fausses nouvelles et qui appelait, jeudi soir, ses abonnés – qui se comptent en milliers – à descendre sur Camp Levieux en n’oubliant pas de « pran zouti ».

Les réseaux sociaux sont un formidable outil dans une démocratie mais également un terrible casse-tête communicationnel. Si la situation dégénère, on pourra raisonnablement arguer que c’est ce qui y aura été partagé et les perceptions qui y auront été créées – de manière juste ou injuste – qui ont agi comme combustible de l’embrasement.

Face à cette réelle possibilité, il faut que chacun assume sa part de responsabilité dans sa manière de communiquer et d’agir en mesurant comment chaque message, posture et prise de position peut être perçu.

 

Au gouvernement

  • Le Premier ministre doit s’assurer que les forces de l’ordre n’utilisent les moyens répressifs qu’en dernier ressort et de manière proportionnée ; seulement après avoir épuisé les voies du dialogue. Il est impératif d’éviter toute perception d’abus d’autorité ou de la force publique. Une frange de la population est déjà convaincue d’en être la victime quasi-permanente.
  • Jamais au grand jamais recourir à un black-out des réseaux sociaux : les sms existent toujours et l’accès aux réseaux est désormais presque considéré comme un droit. C’est dans le noir qu’on s’imagine les pires horreurs.
  • Le Premier ministre doit s’adresser à la nation pour dire que les cris ont été entendus et que des mesures palliatives et chiffrées sont ou seront prises. Qu’il n’écoute pas la bande de déconnectés dont il s’est entouré.
  • Tous les louangeurs de Jugnauth et abrutis encenseurs des prétendus baahubali au pouvoir doivent être invités à se taire afin de laisser parler ceux qui ont des choses sensées à dire, cela, dans le ton qu’il convient. Nous avons besoin d’hommes et de femmes pont et de médiateurs au gouvernement, pas de petits caïds arrogants.

 

Dans les rangs de l’opposition

  • Nos principaux dirigeants politiques doivent mesurer qu’une explosion sociale violente aggravera la situation économique et engendra forcément une crise politique incontrôlable qui ne profitera à personne…sans doute pas à un nouveau gouvernement !
  • Par conséquent, que Navin Ramgoolam, Paul Bérenger, Xavier Duval, Nando Bodha, Ashok Subron, Bruneau Laurette, Roshi Bhadain, et d’autres fassent chacun un appel au calme sans équivoque.
  • La hiérarchie de chaque parti de l’opposition doit rappeler à l’ordre les trublions et apprentis pyromanes dans leurs rangs afin que le discours prédominant soit celui de l’apaisement et non une fuite en avant dans la démagogie.
  • Que les partis de l’opposition sérieux se désolidarisent et n’appellent pas leurs partisans à soutenir cette floppée de têtes brûlées qui ont fait de l’outrance et du jusqu’au-boutisme leur fonds de commerce. Notamment cette bande d’avocats et de politiciens dont l’objectif est de «fer li [Pravind Jugnauth] kiler, desan kalson» en prônant la multiplication des épreuves de force à travers le pays.

 

Dans la société civile et les médias

  • Invitons les autorités morales comme le Cardinal Piat et nos anciens chefs de l’Etat à s’exprimer afin de prévenir la population sur les dangers et les conséquences d’un embrasement.
  • Les responsables de médias doivent enjoindre leurs reporters à se délester de leurs a priori et penchants politiques, ou le cas échéant, de leur soif de « sensationnaliser » les évènements, pour se concentrer sur un traitement factuel et distancié de l’information et une approche favorisant les sujets de fond et non seulement l’émotion. Que les leaders d’opinions fassent le choix de propos visant à rassembler plutôt qu’à attiser les colères et ressentiments. Le blame game est déjà leur sport favori, qu’ils s’essayent à une autre discipline, le temps qu’on désamorce cette crise.
  • Les syndicalistes et associations de consommateurs, si prompts à se tirer dans les pattes, gagneraient à faire un front commun pour faire pression sur le gouvernement pour qu’il prenne des mesures correctives sur la question du pouvoir d’achat tout en prônant, eux aussi, la raison.

 

Ce samedi 23 avril, le pays se réveille avec une gueule de bois suite à une soirée arrosée de gaz lacrymogène dans certains quartiers du pays. Notre démocratie ne s’en porte pas mieux. Elle ira même bien plus mal, si malgré les appels au calme, d’autres quartiers subissent le même sort et que les déploiements des forces de l’ordre finissent par faire une victime. La crise économique et sanitaire nous a déjà fait perdre 3 années de développement. Toute déliquescence de la paix sociale, nous fera reculer de 23 ans…au moins.

 

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