C’est un pays particulier. Une culture politique distincte. Un système de vote unique. De Maurice, on peut néanmoins tirer quelques précieux enseignements et avertissements de la victoire qui s’annonce de Joe Biden face à Donald Trump.

 

1. L’absence de responsabilité et de transparence

Donald Trump est un habitué des superlatifs. Personne ne connait mieux tel ou tel sujet que lui. Selon lui, sa politique dans n’importe quel domaine est toujours la meilleure et la plus efficace. Si on lui demande des comptes, comme sur le montant d’impôts qu’il a payé ces dernières années, il choisit des prétextes voire la fuite pure et simple au lieu de fournir des explications précises et convaincantes. Quand les enquêtes sont diligentées sur ses agissements, elles aboutissent, par miracle, à des voies sans issue.

A Maurice, Jugnauth demande à la ronde «kot mo finn fote», refuse de présenter des excuses, même pas des regrets sur ses atermoiements ou actions. Tout en fanfaronnant sur le sort qu’il réserve à ses adversaires ainsi qu’aux journalistes… au lieu d’expliquer comment il a acquis une partie de son domaine à Angus Road, Vacoas. En général, on a la même impression qu’avec Trump aux Etats-Unis : Le patron de l’exécutif contrôle tout et estime n’avoir de compte à rendre à personne. Pas à la commission anticorruption en tous cas, qui prend une décennie à enquêter sur le dossier Angus Road, par exemple, sans que cela paraisse suspect.

 

2. Une mauvaise gestion de crise

La gestion de la crise de la Covid-19 par Donald Trump a été calamiteuse. Le président américain a notamment admis avoir volontairement minimisé l’impact du virus. Résultat : Les USA sont l’un des pays les plus lourdement touchés par la pandémie. Les sondages effectués à la sortie des urnes, ce 3 novembre, indiquaient d’ailleurs que les électeurs estiment que la lutte contre le coronavirus doit être une des trois priorités du nouveau président.

Ces mêmes études d’opinion révèlent que les américains souhaitent que le nouveau président mette en œuvre une politique favorisant l’égalité entre citoyens. Une preuve additionnelle de l’échec de Trump à répondre aux craintes et revendications du mouvement #BlackLivesMatter et à fédérer les Américains autour du principe de l’égalité.

A Maurice, la gestion de la crise sanitaire de la Covid-19 n’a pas été catastrophique comme au pays de l’oncle Sam. Même si les arrestations à la suite de l’octroi de marchés publics à des proches du pouvoir démontrent autre chose sur l’aspect de la gouvernance. Pravind Jugnauth a, lui, lamentablement raté la gestion de la catastrophe #Wakashio. Feint de pas voir les mains pourtant tendues vers son gouvernement dès les premières heures suivant l’échouement du vraquier.

Les dizaines de milliers de Mauriciens qui sont descendus dans la rue le #29aout lui ont montré leur défiance bruyamment et sans équivoque. Si l’attitude de Trump face à la Covid-19 a été jugée scandaleuse, celle de Jugnauth durant la douzaine de jours précédent le déversement d’hydrocarbure dans les lagons du sud-est l’a été tout autant. De nombreux Mauriciens ne l’oublieront pas de sitôt.

 

3. Repli électoral et aliénation d’une partie de la population

Trump a largement instrumentalisé la peur de l’autre – celui n’ayant pas la même couleur de peau, la même nationalité, la même religion – pour fédérer un électorat conservateur, réactionnaire… mais pas que. Depuis 2016, il a tablé sur le soutien d’une population plutôt masculine et blanche, pas nécessairement très éduquée et vivant dans les zones rurales ou les petites villes ouvrières.

Par son discours et attitude, il a nourri leur repli. Ce qui, en cette fin d’année, a aussi eu pour effet de fédérer une autre partie de l’électorat des USA contre lui. Ce qui explique en partie le taux de participation record (environ 65%): Un chiffre qui n’avait pas été atteint depuis 1908 !

A Maurice, Pravind Jugnauth doit aussi largement sa victoire à un électorat conservateur, plutôt rural; qui a tendance à choisir clairement un camp et le soutenir par un vote «bloc» lors des législatives. Le leader du MSM – vu ses récentes postures – semble compter sur l’apport de ce même électorat pour conserver le pouvoir lors des législatives de 2024. Quitte à donner l’impression qu’on peut se balader, sabre à la main, dans ce pays… pour peu qu’on porte un vêtement orange!

Mais en faisant cela, il se comporte presque de la même manière que Trump face au mouvement #BlackLivesMatter. Confortant un certain nombre de Mauriciens dans leur impression que pour Jugnauth et ses lieutenants, il y existe des citoyens et électeurs de première zone; puis les autres. Confortant aussi dans leur supériorité, cette partie de Mauriciens qui pensent qu’ils ont des droits que d’autres n’ont pas dans la République.

 

4. Un challenger rassurant

A entendre les analyses politiques yankees, il semble qu’une partie non négligeable de l’électorat américain n’a pas nécessairement voté pour Biden par simple soutien à sa personne ou par adhésion aux politiques prônées par les démocrates. Mais plutôt par pure aversion pour Donald Trump et convaincus de l’urgente nécessité de le bouter hors de la Maison Blanche.

D’une certaine manière, Trump a bénéficié de ce même effet en 2016. Quand une partie de ceux qui l’ont soutenu ont surtout rejeté Hillary Clinton, considérée comme la représentante d’un establishment affairiste et pouvoiriste. Ce novembre, les Américains tentent l’expérience du grand père sympathique et rassurant – l’image que projette l’ancien vice président de Barak Obama – face à un Trump qu’il perçoivent comme étant hostile et vulgaire.

Le parallèle avec Maurice n’est pas difficile à dresser. En 2019, Pravind Jugnauth a largement assuré la victoire de son alliance, surtout dans les circonscriptions 4 à 14, en tablant sur le rejet de Navin Ramgoolam. Opposé au même challenger aux législatives de 2024 – même face à une opposition unie – Jugnauth aura toujours de très bonnes chances de se faire réélire. Tout comme Trump aurait probablement remporté ces présidentielles si Hilary Clinton était de retour en 2020. Vu le score étriqué entre l’actuel président américain et Biden.

L’opposition – qui affiche une union de façade après avoir balayé pour le moment ses problèmes sous le tapis – doit donc trouver son Biden mauricien. Seul celui ou celle capable d’incarner une alternative rassurante à Jugnauth aura des chances de vaincre l’actuel Premier ministre.

 

5. Le système électoral n’est pas le même mais les ressorts électoraux le sont

On ne peut terminer sans un nota bene. Le système électoral et le découpage des circonscriptions à Maurice sont particuliers et induisent des mœurs électorales pouvant porter au pouvoir une alliance ne rassemblant que 37% ou 40% des suffrages exprimés lors d’une législative. Cela, en toute légalité.

Aux Etats-Unis, les présidentielles de 2016 ont démontré qu’un candidat peut obtenir la majorité des votes populaires sans toutefois pouvoir engranger le soutien nécessaire d’au moins 270 grands électeurs pour devenir locataire de la Maison Blanche. C’est arrivé à Hillary Clinton mais Joe Biden va très probablement échapper à cette malédiction.

On peut, malgré tout, arguer qu’à certains égards, les électeurs des «swing/battleground states», si décisifs aux USA, se comportent un peu comme ceux de ce qu’on appelle le Greater Hindu Belt à Maurice. Ce couloir des circonscriptions 4 à 14 qui finit par produire le même résultat décisif que les «swing/battleground states» américains.

Ce rappel effectué, ce qu’indiquent les présidentielles aux Etats-Unis, c’est le triomphe du «Trumpisme». Car malgré sa gestion calamiteuse de la Covid-19, son attitude belligérante et insultante, son affairisme, la perception qu’il est anti-minorités, Donald Trump a néanmoins amélioré son score dans un certain nombre d’Etats et de counties. Alors que les sondages – décidément myopes – prédisaient une victoire claire et nette de Joe Biden.

A Maurice, le chef du gouvernement établit aussi son «Jugnauthisme» auprès d’une frange de l’électorat. Qui s’identifie à un leader fort et apprécie une attitude particulière envers ses opposants et l’adversité en général: Qu’elle provienne de la BBC; de la presse locale; des Américains et Britanniques sur les Chagos ou de minorités qui seraient prétendument une menace à un certain ordre établi.

Le «Trumpisme» et le «Jugnauthisme» ont d’ailleurs une chose en commun. Ils n’attirent pas de manière monolithique une frange de l’électorat tout en repoussant intégralement une autre. Il est ainsi intéressant de constater que malgré son attitude, 12% des américains noirs ont voté pour l’actuel président des Etats-Unis pour ces élections. Un peu plus d’un électeur musulman américain sur trois (35%) ayant voté a également soutenu le milliardaire.

Il serait ainsi illusoire de penser – voire de fantasmer – que le Premier ministre ne serait soutenu que par une composante ethnique spécifique. Jugnauth a réussi à faire élire [au first past the post], des députés à Grande-Rivière-Nord-Ouest/Port-Louis Ouest [no 1], La Caverne/Phoenix [no 15], Vacoas/Floréal [no 16), Curepipe/Midlands (no 17), Belle-Rose/Quatre-Bornes [no 18] et Stanley/Rose-Hill [no 19]. Rien ne dit qu’il ne réussira pas la même chose avec le soutien marginal ce certaines composantes de l’électorat dans 4 ans.

L’opposition aurait donc tort de penser qu’il suffit de dénoncer les fautes et faux-pas de Jugnauth et de trouver l’équivalent d’un Biden local pour triompher. La solution que ceux qui veulent remplacer l’actuel Premier ministre ont l’obligation de trouver doit concilier un vrai renouvellement des troupes, une réelle politique de rupture – hors gimmicks et postures superficielles – tout en développant une compréhension beaucoup plus fine de cet électorat qui leur a tourné le dos depuis 2014. Et qui pourrait, étonnement, pardonner au leader du MSM plus d’erreurs et de fautes qu’on ne le croit!

Si ses opposants n’arrivent pas à réaliser cela, Jugnauth fera ce que Trump avait rêvé…

Pin It on Pinterest